Pourquoi j’aime cette photo?

 

Pourquoi j’aime cette photo? Pourquoi lors d’un concours, les trois juges sont souvent d’accord sur l’attribution de la note maximum, alors que leur vécu, leur pratique de la photo, leur culture sont différentes?

Je passerai sur la différence homme/femme qui ferait que les hommes sont forcément sensibles aux motos, sports, …et les femmes forcément sensibles à la mode, aux enfants…Halte à l’idiotie des préjugés.

J’ai découvert le livre de Brian Dilg qui parle de la science de la perception et donne des éléments de réponse que je vais vous résumer. N’hésitez pas à lire et relire ce livre!

Pourquoi j’aime cette photo? On va revenir sur la notion de voir puis comment attirer le regard et comment s’enchaîne le processus de pensée.

 

  • Voir

Notre vision est une combinaison de deux images, environ 180 degrés, ce qui correspond à un objectif 50mm. Nous avions déjà abordé le fait que notre œil est fait pour vous le contraste et non les couleurs dans l’article Et si on jouait avec les couleurs. J’aborderai ici également le fait que notre vision est optimisée pour détecter les mouvements, vestige de notre cerveau reptilien pour nous permettre de fuir face à un danger identifié.

La photographie ne montre que ce que le photographe a bien voulu montrer. Prendre une photo, c’est placer un cadre fini autour d’une infime partie du monde. Nos yeux sont libres de parcourir toute la photo, mais nous ne pouvons pas voir au-delà de ses contours.

D’un point de vue plus philosophique, ce que  nous observons n’est pas la nature elle-même, mais la nature exposée à notre méthode de questionnement. Notre vie quotidienne est axée sur la survie, nous n’avons tout bonnement pas le temps ni le besoin d’étudier les détails des formes, de la lumière et de la couleur. L’expérience acquise permet de construire un modèle mental du monde ; les nouvelles informations y sont comparées. Notre modèle mental insiste pour que le monde soit conforme à nos attentes et de ce fait il a du mal à percevoir un monde qui n’y est pas conforme.

Pour créer de l’art, l’expérience peut constituer un obstacle. Si nous ne parvenons pas à nous défaire de ce que nous nous attendons à voir, il est peu probable que nous voyions quoi que ce soit. Tout sera filtré par notre cerveau. Nous aimons les photos en partie pour ce qu’elles ne nous montrent pas. Elles simplifient le monde et nous permettent de vivre une tranche de vie précise. Les photos sont prises pour nous donner une certaine idée à première vue, puis nous inciter à les examiner de plus près et, finalement, pour nous surprendre.

Voir, c’est une association de profondeur de champ, d’exposition, de couleurs, de mouvement :

  • Profondeur de champ  : courte elle permet de faire ressortir la tridimensionnalité, grande, elle donne à la photo un côté bidimensionnel et écrasé alors que le grand angle est synonyme de profondeur de champ.
  • Exposition : l’appareil photo « regarde » une seule fois et capture toute la scène en une seule image statique. La photographie peut couvrir les extrêmes. Elle peut créer des mondes visuels qui nous seraient autrement invisibles
  • Couleurs : l’humain voit en 3 couleurs, les chiens et chats en 2 couleurs, le papillon en 5 couleurs et la crevette-mante en 16 couleurs. A chacun son référentiel de couleurs 🙂 Les couleurs chaudes (rouge, orange, jaune) paraissent plus lumineuses et attirent plus l’attention.
  • Mouvements : notre cerveau compare constamment le présent avec le passé et imagine le futur…résultat, on passe à côté du présent. L’appareil peut figer le mouvement ou créer une image abstraite. La photo contient un laps de temps dans son cadre; elle peut raconter  ce qui s’est passé avant et ce qui est susceptible de se produire après.

 

  • Attirer le regard

Attirer le regard consiste à montrer ce que l’on voit mais aussi ce que l’on pense, c’est-à-dire communiquer une idée. Quand on parcourt une image, le point que l’on croise inévitablement le plus est le centre. Les éléments situés près des bords nous prennent plus de temps pour les découvrir et cela peut rendre l’image déconcertante.

   

Pour attirer le regard, le photographe peut jouer sur la mise au point, les lignes, les expressions ou la substitution.

  • Mise au point : la photographie doit-elle imiter la vision humaine aussi fidèlement que possible? Le flou nous met mal à l’aise car notre vue est nette. L’observateur s’attarde principalement sur les zones nettes. Cependant, si ces éléments flous sont importants, un observateur attentif finit par s’en rendre compte et cette prise de conscience est le Graal de la photographie. Le flou délibéré peut aussi être utilisé pour leurrer le spectateur à ignorer les zones floues puis le forcer à revenir dessus et reconsidérer son importance. Plus le photographe est capable de créer des suppositions trompeuses, plus le spectateur est choqué lorsqu’il reconnait quelque chose qui remet ses attentes en cause
  • Lignes : nous sommes des experts de l’horizontalité et de la verticalité. La droiture de l’horizon a un effet stabilisant sur nous. L’œil du spectateur parcourt l’image à la recherche d’un endroit confortable où se poser
  • Expressions : les photos sont un support silencieux mais le langage corporel et les expressions du visage communiquent en grande partie l’histoire et le caractère des individus. Une photo prise au bon moment peut révéler ces émotions que nous nous efforçons de dissimuler
  • Substitution : plus une chose revêt d’importance dans notre hiérarchie de l’attention, plus nous sommes choqués lorsqu’elle ne correspond pas à nos attentes. Lorsqu’une situation à laquelle nous nous attendons est remplacée par une chose similaire mais surprenante, le principe de substitution nous fait marquer un temps d’arrêt

   

 

Lorsque nous parcourons une scène du regard, là où nos yeux s’attardent et pendant combien de temps nous révèlent une hiérarchie d’importance personnelle. Les objets dont nous connaissons les limites semblent attirer notre attention plus que les autres. L’attention visuelle se base sur notre expérience, nos goûts et sur ce qui pique notre intérêt d’une manière très personnelle. Ce que vous savez influence ce que vous voyez. Etre conscient des choses qui sont importantes pour moi affectera ce que je ferai ensuite. Notre hémisphère droit gère le spatial et l’hémisphère gauche est analytique, verbal. La créativité nécessite de ce fait une combinaison des deux hémisphères.

Pour attirer le regard, il est possible de jouer sur la luminosité et le contraste. Il est en effet possible de pousser l’exposition sans créer quelque chose qui est l’air irréaliste ou artificiel. Nos yeux optimisent rapidement l’exposition où que nous posions le regard. La photographie permet de rendre simultanément des tons très clairs et très sombres.

 

 

Il est également possible de jouer sur les couleurs même si l’appréciation de celles-ci est personnelle. Les lieux, les choses vus et même la langue que l’on parle affecte notre sensibilité à la couleur. Un bon photographe orchestre les couleurs, leurs teintes, leur nombre, leur luminosité et leur saturation. Une image qui comporte un nombre limité de teintes dominantes est plus agréable visuellement.

Et si on jouait sur les motifs? Nos cerveaux sont programmés pour reconnaître les motifs, pour repérer les répétitions. La répétition créer l’effet de surprise plus fort encore lorsque le motif est rompu.

N’hésitez pas à également créer l’effet de surprise. Les images qui perdurent sont celles qui retardent la compréhension. Une image qui dure récompense une attention rapprochée, prolongée et répétée. Il faut donner au spectateur le plaisir de trouver des indices, de relier des thèmes, de comprendre l’esprit du photographe et même d’apprendre quelque chose sur lui-même.

 

 

 

  • Penser

L’humain a la capacité de deviner  ce que les autres pensent, de comprendre  que leur manière de penser est différente de la nôtre. Le langage corporel le plus subtil révèle la pensée, même lorsqu’il est dénué de mouvement.

Que nous parvenions ou non à imaginer ce que pense le photographe, l’une des plus importantes fonctions de l’art est de révéler le créateur et le spectateur à eux-mêmes. La photographie peut révéler des expériences profondément formatrices qui ont affecté le photographe d’une façon qu’il sous-estime ou dont il n’est même pas conscient. Le fait que la même photo puisse être interprétée de nombreuses manières témoigne du rôle de l’observateur. Dans l’art, l’intellect est l’ennemi de l’originalité.

 

L’humain aime le mystère. L’humain aime assembler les pièces du puzzle, deviner ce qui se passe derrière les portes closes et être surpris. L’omission est un des moyens les plus surprenants et les plus profonds pour créer une expérience satisfaisante pour le spectateur. Suggérer et non montrer pour stimuler l’imagination du spectateur.

Ce qui est inhabituel nous déconcerte. Alterner les zones claires et les zones sombres pour montrer la tridimensionnalité. Il faut avoir une certaine expérience de la vie pour avoir quelque chose à dire.

 

 

   

Penser comme un enfant qui s’émerveille, qui explore et vit chaque expérience alors que l’adulte a un mode de vie plus utilitariste. La beauté et la nouveauté ne  nous surprennent plus…pourquoi prêter attention à quelque chose que nous croyons déjà connaître parfaitement? Il n’est pas facile de prendre une photo surprenante d’une fleur, c’est déjà fait, déjà étudié, peint et photographié sous toutes ses coutures. Il faut choquer son spectateur, lui offrir un nouveau regard. Lorsque le spectateur est confronté à un point de vue atypique, son attention est exacerbée et il s’implique activement pour essayer de comprendre ce qu’il voit. Le point de vue ne fait pas que changer la composition. Il exprime l’intention et la personnalité du photographe ainsi que ses sentiments vis-à-vis du sujet. Une photo qui stimule n’importe quel autre de nos sens a un plus grand impact sur nous.

   

   

 

Si l’on résume, lire une photo, c’est rechercher des indices qui indiquent que le photographe veut dire quelque chose. Si vous ne savez pas pourquoi vous prenez  une photo, vous ne savez pas comment prendre la photo. Mieux vous serez préparé et plus vous serez capable d’improviser et de vous adapter (relire l’article les règles de la composition). La photographie permet de communiquer des idées, des concepts et des sentiments, mais elle a besoin d’un contexte. La photographie peut faire en sorte que les faits touchent les spectateurs émotionnellement. Il y a une plus grande marge d’interprétation avec une photo qu’avec un texte. La photo porte un message pour communiquer une idée ou une opinion sur le monde. Il est plus facile de prendre des photos que de lire ou d’écrire, mais les compétences requises pour raconter une histoire visuelle sont les mêmes que pour écrire un roman.

Entraînez vous à voir et à orchestrer les gestes, les relations entre les couleurs, les formes, les motifs, l’ombre et la lumière, vous élargirez non seulement votre perception, mais aussi votre capacité à construire une histoire pour un public. Il en va de même pour votre expérience en tant qu’observateur.

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